Berge Turabian
Track Listing

 

“La langue dans laquelle j’ai écrit déjà était lue par peu / A la surface de la terre, et bien peu parmi eux sont restés...” Conscient de cela, Tékéyan n’a pas pour autant arrêté d’écrire dans cette langue en voie de disparition pour des gens dont il savait qu’ils n’avaient nul besoin de poèmes (“Peut-on se nourrir de poésie ?”). C’est la pensée que la douleur de son coeur pourrait en consoler d’autres qui lui donna la force nécessaire de continuer à écrire.
Et ce n’est pas parce qu’il réprouve la prophétie de Tékéyan, qui disait que “Dans cent ans seulement, / Cette chère langue, dans cette forme et prononciation fautive ou correcte / [...] n’aura plus de locuteurs,” que Berge continue à chanter. Ce serait de toutes façons une cause perdue. Mais ce sont les seules qui valent. Les causes que la Providence veut voir réussir ne requièrent pas l’aide des individus, car une volonté aveugle trouvant son expression multiple dans des agents innombrables, accomplit son oeuvre au service de l’Histoire. Seule la Vérité, celle qui est destinée à ne jamais devenir Histoire, requiert son chevalier de la cause perdue, si elle tâche d’abandonner le royaume du possible, dans un moment fuyant, pour celui de l’actuel.
Et c’est précisément la tension entre le possible et l’actuel, et la persistance du possible dans la mémoire, le regret, l’espoir, la consolation qui prévaut dans la plupart des poèmes de Tékéyan, en particulier dans ceux qui sont sélectionnés ici. Le possible, qui jamais ne fut, n’est pas moins réel pour lui que l’actuel, en tant qu’il peuple ce que Rilke appelait “l’espace intérieur du monde” (Weltinnenraum).
Si on laisse de côté la question du puriste, qui consiste à savoir si on a le droit d’altérer la musique propre au poème en lui en surimposant une autre - à laquelle on peut rajouter les autres questions du genre : “Doit-on faire des rhapsodies sur des thèmes de Paganini ? Ou écrire des Lieder sur des poèmes de Goethe, Schiller, Heine, Uhland, ou Rückert ? Ou composer des études d’après les Etudes de Chopin ?” - on pourrait se demander si ces chansons révèlent ou accentuent les aspects absents ou sous-entendus dans la lecture du poème. La réponse serait décidemment “oui”, puisque la musique renforce un certain sens de la retenue, de l’hésitation, de l’attention et de la vulnérabilité propre à chaque vers, et crée une architecture sonore pour cet “espace unique”, que le pinceau de Tékéyan a amené à la vie avec les mots d’un ancien verger.

Victor Pambuccian

English :: Armenian


Vahan Tekeyan (1) at an informal gathering at the
Gegharvestasirats Armenian Cultural Center in Cairo.
Among others, Sahag, Poghos, Torgom, Shaké, Sona and Alice Turabian (2, 3, 4, 5, 6, 7).
[1940-1942]


Au Caire où je suis né et où j’ai vécu les quinze premières années de ma vie, j’ai eu maintes fois l’occasion de rencontrer le nom de Vahan Tékéyan ainsi que son personnage. C’était d’abord au cours de ces promenades que je faisais en tenant la main de ma mère que je remarquais souvent la plaque portant le nom de Vahan Tékéyan sur la façade d’un des bâtiments. J’éprouvais comme un sentiment de mystère chaque fois que je passais devant.
Chez nous comme dans tant d’autres foyers arméniens d’Egypte, quand on feuilletait ces albums de photos de famille pleins d’images d’hommes respectables et de femmes distinguées, je voyais soudain un doigt qui désignait un visage à lunettes et j’entendais une voix admirative qui disait : “Voici Vahan Tékéyan”.
C’est chez mon grand-père, Sahag Turabian, que j’ai le plus souvent entendu prononcer son nom : ils s’étaient
fréquentés en tant que membres du parti Ramkavar, et tous deux avaient collaboré au journal Arev. Ma tante me disait que dans ses périodes de doute et d’hésitation où il se repliait sur lui-même, Mr Tékéyan ne supportait la présence que de très peu de gens, et mon grand-père en faisait partie... Ma perception de ce personnage enveloppé de mystère s’est lentement formée au cours de ma vie quotidienne dans la dispora. J’étais
très fier qu’un si grand homme ait pu être l’ami de mon grandpère.
Mais je n’avais aucune connaissance personnelle de la poésie de Tékéyan. A l’école et lors des fêtes, c’était généralement des jeunes filles ou des femmes tremblantes d’émotion qui lisaient avec emphase ses poèmes - toujours les mêmes - mais quand les derniers vers se mêlaient aux applaudissements, je restai là, distant, étranger à cette communion...
Bien qu’au Caire et dans les autres centres de la diaspora se faisait sentir la présence d’une vraie “Tékéyanomania”, en Arménie, y compris dans les milieux littéraires, l’attitude envers sa poésie était plutôt neutre. C’est cette neutralité et d’autres facteurs annexes qui ont retardé de quelques années ma rencontre avec sa poésie. Durant cette période, je n’ai eu qu’un contact sérieux avec Tékéyan : je traduisais Baudelaire et j’étudiais ses propres traductions au cours de mon travail.
Plus tard aux Etats-Unis, alors que je traversais une période intellectuelle difficile, j’ai reçu comme cadeau une guitare et je me suis mis à redécouvrir les moments d’inspiration de mon passé récent en essayant d’écrire à nouveau des chansons pour combattre cette crise émotionnelle persistante. Peut-être parce que je me trouvais à nouveau dans la diaspora, c’est l’arménien occidental qui s’est réveillé en moi, et Tékéyan m’est venu naturellement à l’esprit ; j’ai écrit deux chansons sur ses poèmes “J’ai aimé” et “Désir”. Je les ai enregistrées et envoyées à un intellectuel en vue dans la vie culturelle arménienne espérant à la fois un encouragement et une lumière. La réponse fut abrupte : “Il n’y a aucun public pour ce genre de chanson ; ce que les gens aiment ici c’est du dhol-zurna (musique d’ambiance)”. Ce fut la fin de ma tentative d’écrire des chansons et c’est ainsi qu’une rencontre durable avec Tékéyan ne s’est pas produite.
Les années ont passé et les choses ont changé ; j’ai commencé à écrire des chansons, à produire des CD, et grâce à cela, j’ai rencontré des gens merveilleux. Ces treize chansons sur des poèmes de Tékéyan, c’est à l’un d’entre eux que je les dois : Victor Pambuccian. Il m’a découvert en écoutant mon CD sur la poésie de Charents et il m’a envoyé des lettres enthousiastes qui analysaient mes chansons.
Notre correspondance devint régulière. Victor est un véritable expert en poésie et en chanson poétique, et ses analyses comme ses avis m’ont souvent aidé à surmonter mes incertitudes. Bien que mathématicien de profession, il traduit de la poésie, y compris celle de Tékéyan, en allemand. Il m’a suggéré de produire avec son parrainage un CD de chansons sur des paroles de Tékéyan. C’est lui qui m’a guidé dans cet univers délicat, complexe, aux facettes multiples, et qui n’est pas des plus faciles à vivre. J’ai lutté maintes fois avec son créateur ; je l’admirais, j’étais perplexe, je le questionnais, je me perdais en lui. J’aimais les hésitations de Tékéyan, sa vulnérabilité et sa
quête incessante des secrets de l’élévation spirituelle.
Pour conclure, je voudrais remercier Victor, et d’abord la confiance qu’il m’a témoignée, ce que j’apprécie vivement. Je remercie mon collaborateur et ami Tigran Nanian pour ses remarquables arrangements et sa patience à mon égard. Egalement ma famille, Anahit et Arousiak, ainsi que mes amis : Arevik Gabrielian, Patrice Poingt, Manuel Keusseyan, pour leur aide aux différentes étapes de ce travail - depuis la sélection des poèmes jusqu’àla traduction, l’édition, la correction, etc...
Enfin, c’est avec l’élan le plus profond de mon coeur que je voudrais dédicacer ces chansons à mon grand-père Sahag Turabian parce que je sais qu’il serait extrêmement fier s’il pouvait voir combien la rencontre de son petit-fils avec Tékéyan avait finalement porté ses fruits.

Berge Turabian
New York, le 13 octobre 2003

English:: Armenian


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The Armenian Poets in Song
Les Poètes Arméniens en Chansons

Music: Berge TURABIANBerge TURABIAN
Arrangements: Tigran NANIAN
Vocals: Berge TURABIAN & Nairi GASPARIAN
Piano, keyboards & programming: Tigran Nanian
Bass, double bass: Marco Bonelli
Acoustic & electric guitar: Khachik Turabian
Drums, percussions: James Russo
Violin, viola: Silviou Bîta
Cello: Susan GrayNairi GASPARIAN
Flute: Michelle Thomas
Acoustic guitar: Berge Turabian

Recorded by Arman Avetissian at VEM Studio, Yerevan, Armenia
Mixed by Arman Avetissian & Tigran Nanian
Mastered at EUROPADISK, LLC., New York (www.europadisk.com)
French and English translations by Berge Turabian. German translations by Victor Pambuccian.


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